jeudi 19 décembre 2013

DEBAPTISATION CATHOLIQUE : SUITE ...





Pourvoi en cassation de Monsieur René LEBOUVIER.


Excellent texte de la Libre Pensée :


FEDERATION NATIONALE DE LA LIBRE PENSEE
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Le baptême :
Sacrement indélébile ou marque effaçable ?

               
      
INTRODUCTION

Le 11 août 1940, deux jours seulement après la naissance de leur fils, les parents de René Lebouvier l’ont fait baptiser par le desservant de la paroisse catholique de Fleury (Manche). Une fois parvenu à l’âge adulte, l’intéressé a embrassé des convictions philosophiques ne laissant aucune place au moindre message religieux. Par suite, il a entendu ne plus avoir de liens avec l’Eglise catholique. Dans un premier temps, par une lettre du même jour, il s’est borné à demander au curé de Fleury et à l’évêque de Coutances de porter la mention « a renié son baptême le 31 mai 2001 » en marge de la transcription dans le registre des baptêmes de l’Eglise de cette cérémonie rituelle marquant l’entrée des individus en son sein. Dans un second, par correspondances des 15 avril et 16 juin 2009, il a sollicité auprès des mêmes autorités religieuses une radiation totale dudit registre de manière à ne plus figurer dans aucun des fichiers tenus par l’Eglise catholique. Cette demande ayant été rejetée, René Lebouvier a assigné l’association diocésaine de Coutances et son évêque devant la juridiction compétente, par exploit d’huissier du 26 juillet 2010.
         Le tribunal de grande instance de Coutances, en 2011, puis la cour d’appel de Caen, en 2013, se sont prononcés en sens contraire sur le point de droit très important que soulève le recours introduit par René Lebouvier : une personne souhaitant échapper au fichage clérical est-elle fondée, au regard des libertés individuelles fondamentales, à demander l’effacement total de son nom du registre des baptêmes tenu par l’Eglise ou doit-elle se contenter d’une mention marginale portée sur ce document rédigée ainsi : « a renié son baptême » ?  Les premiers juges ont considéré que le maintien de l’enregistrement du baptême assorti de cette mention marginale constituait une violation du respect de la vie privée protégée par l’article 9 du code civil, dès lors que le registre est accessible à des tiers, même en nombre limité. Le juge d’appel a estimé, quant à lui, qu’il n’en est rien tant qu’aucune « divulgation fautive » des informations consignées sur le registre des baptêmes n‘est pas établie. Au surplus, dans le cas d’espèce, il a jugé que l’Eglise n’avait pas violé les dispositions de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
         Il importe d’examiner plus avant les moyens soulevés par René Lebouvier à l’appui de sa requête puis de son appel. Il paraît également utile de rappeler le point de vue de l’Eglise catholique sur les sacrements en général, et le baptême en particulier.

LES SACREMENTS DE L’EGLISE CATHOLIQUE : 

DE LA DIFFICULTE DE S’EN LIBERER

         L’Eglise catholique romaine ne lésine pas : elle délivre sept sacrements qui sont en nombre égal aux péchés capitaux, dont Thomas d’Aquin a esquissé la liste dans la Somme théologique. Trois sont des rites d’initiation : le baptême, la confirmation de celui-ci et l’eucharistie. Deux autres constituent, l’un, une obligation pour les pécheurs, l’autre, un geste de bénédiction des souffrants sur le point de passer ad patres : la pénitence et l’onction des malades. Les deux derniers sont des rites de communion : l’ordination des prêtres et le mariage. Ces sacrements ont pour fonction de conférer la grâce divine à celui qui les reçoit. Il s’agit d’accorder celle-ci à travers des symboles visibles. D’une manière générale, ces sacrements sont indélébiles ou indissolubles, sauf si l’Eglise en décide autrement. Ainsi, le mariage catholique est censé ne jamais être rompu, sauf dissolution par Rome motivée par l’absence de consommation de l’union. 
         Selon le mot de Tertullien « On ne naît pas chrétien, on le devient. » Parfois contre son gré : souvenons-nous du Commentaire philosophique dans lequel Pierre Bayle, à la suite de la mort de son frère ayant refusé d’abjurer  sa foi protestante, dénonce l’interprétation catholique de la phrase « Contrains-les d’entrer » prononcée par le messie dans la parabole du festin de Luc rapportée par l’Evangile canonique de Matthieu. Il fut un temps où qui ne voulait pas être catholique le devenait par force.
Le sacrement catholique du baptême marque l’entrée dans l’Eglise. Le canon n° 96 du code de droit canonique est parfaitement clair : « Par le baptême, un être humain est incorporé à l’Eglise du Christ et y est constitué comme personne avec les obligations et les droits qui sont propres aux chrétiens, toutefois selon leur condition, pour autant qu’ils sont dans la communion de l’Eglise et pourvu qu’aucune sanction légitimement portée y fasse obstacle. » Sauf pour les catéchumènes âgés de plus de quatorze ans, l’entrée dans l’Eglise par le baptême n’est pas le fruit d’un acte libre mais d’une « incorporation » aux relents militaires. Celle-ci conditionne l’accès au statut de personne comme si un être n’ayant pas été enrôlé par ce sacrement n’en était pas vraiment une. Cette distinction permet de massacrer sans trop d’état d’âme. Elle entraîne pour l’individu des obligations qui priment sur les droits qu’elle lui confère, de manière inégalitaire. Ces droits et obligations varient, en effet, selon «  la condition » des catholiques et sont en quelque sorte suspendus lorsque l’individu n’est pas dans « la communion de l’Eglise » ou a fait l’objet d’une sanction. Enfin, pour Rome, le baptême paraît, implicitement mais nécessairement, indélébile puisqu’aucune disposition explicite ne fixe les modalités de sortie de l’Eglise par son effacement. L’excommunication, qui est la sanction la plus grave et frappe notamment de manière automatique les apostats, n’emporte pas l’oubli du sacrement primordial, même si l’apostat a été longtemps regardé par Rome comme un non catholique. Elle a pour seul effet d’interdire à l’excommunié de célébrer le culte et de donner ou recevoir les sacrements.
Seule la mutation de l’Eglise latine vers une Eglise rituelle autonome du monde catholique est prévue. Le canon n° 112 fixe les modalités de ce transfert qui résulte soit d’une autorisation délivrée par le siège apostolique soit d’une déclaration d’un fidèle souhaitant rejoindre dans une Eglise rituelle autonome le conjoint avec lequel il est marié. 
Compte tenu de ces principes, le code de droit canonique attache beaucoup d’importance aux conditions dans lesquelles le sacrement du baptême est administré et enregistré. Le canon n° 875 insiste sur la présence de témoins de la célébration de la cérémonie, le parrain en tenant lieu dans la plupart des cas. L’évêque de Coutances en tire implicitement comme conclusion que ce sacrement est public, raisonnement qu’a accepté le juge d’appel comme nous le verrons plus loin. De même, le canon n° 877 décrit minutieusement les modalités d’enregistrement du baptême par les clercs : « Le curé du lieu où le baptême est célébré doit noter avec soin et sans retard dans le registre des baptêmes les noms des baptisés avec mention du ministre, des parents, des parrains et des témoins s’il y a lieu, du lieu et du jour où le baptême a été administré, en indiquant aussi la date et le lieu de naissance. » Des mentions particulières doivent être portées dans ce registre pour rendre compte de situations spécifiques. Lorsque la mère de l’enfant n’est pas mariée, outre son nom doit y figurer celui du père « si la paternité est prouvée ou [reconnue] par déclaration du père devant le curé. » L’Eglise revendique également le droit de connaître l’identité des géniteurs d’enfants adoptés, sauf si la loi civile, comme en France, le lui interdit. En quelque sorte, elle s’autorise à consigner dans ses archives les secrets d’alcôve dont elle est très friande. En définitive, elle tient un fichier très complet de données personnelles sensibles.
L’Eglise catholique, qui se revendique comme universelle, considère implicitement le registre des baptêmes comme un registre d’état-civil. C’est le fruit de l’histoire. De 1539 à 1792, elle a tenu l’état-civil en France, en application de l’édit de Villers-Cotterêts. Elle a assuré cette mission en Italie du concile de Trente à la création du royaume unifié en 1866. Le service de l’état-civil lui était confié jusqu’en 1870 en Espagne, voire 1994 au Québec. En dépit de la laïcisation de l’état-civil, elle entend néanmoins conserver des informations nombreuses sur l’identité et les évènements de l’existence des individus.

LA PROTECTION DE LA VIE PRIVEE : VERS L’AFFIRMATION D’UN DROIT DE LA PERSONNALITE INCOMPATIBLE AVEC LES MODALITES DE TENUE DU REGISTRE DES BAPTEMES

         Le droit civil et le droit international paraissent incompatibles avec un droit canonique soucieux de contrôler les individus, au travers notamment d’une connaissance intime et complète de leur vie privée, pour mieux les asservir. L’article 9 du code civil dispose que « Chacun a droit au respect de sa vie privée. » L’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de novembre 1950 prévoit également que « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » Il convient de préciser que ces dispositions de la convention viennent immédiatement avant celles de ses articles 9, 10 et 11 qui garantissent à chacun la liberté de conscience et de religion et son corollaire, la liberté d’expression et de réunion. Enfin, l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 affirme que « Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille son domicile ou sa correspondance, ni d’atteinte à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes. »

         Ces dispositions visent principalement à protéger les individus contre les intrusions de la puissance publique dans leur vie privée et à leur assurer le droit à une vie familiale normale. En particulier, les termes de l’article 8 de la convention européenne de 1950 constituent le fondement de la délivrance de titres de séjour en faveur des conjoints et enfants d’étrangers résidant en France souhaitant bénéficier du regroupement familial et/ou titulaires, notamment, de visas de long séjour délivrés par la France ou un autre pays de l’Union européenne ou de visas temporaires « compétences ». Quant à lui, l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 protège les individus, entre autres risques, des visites domiciliaires arbitraires, c'est-à-dire effectuées en dehors des besoins de la procédure pénale.
Ces dispositions,  celles de l’article 9 du code civil tout spécialement, sont également la source de l’affirmation progressive d’un véritable droit de la personnalité. Avant la réforme du code civil introduite par la loi du 17 juillet 1970, les atteintes à la vie privée donnaient lieu à réparation du dommage sur le fondement de son article 1382. Pour obtenir gain de cause, les plaignants devaient établir l’effectivité du préjudice et fournir les éléments nécessaires à la détermination de son ampleur, même si la jurisprudence avait progressivement assoupli sa rigueur initiale au fil du temps. Depuis cette réforme, le juge considère que « la seule constatation de l’atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation », sans qu’il soit besoin de justifier du dommage subi. L’atteinte constitue à elle seule le dommage (Civ. 1ère, 5 novembre 1996, affaire n° 94-14 798). Le juge indemnise naturellement le préjudice mais le second alinéa de l’article 9 du code civil lui donne également le pouvoir de prendre les mesures (séquestre, saisie, autres décisions) de nature à faire cesser « l’atteinte à l’intimité de la vie privée », notion plus restrictive que la vie privée elle-même.
Bien sûr, l’atteinte à la vie privée alimente un vaste contentieux. Celui, connexe, du droit à l’image, qui met aux prises des personnalités connues et des photographes indiscrets, est particulièrement abondant. Néanmoins, d’autres sujets de litige viennent devant les tribunaux. Ainsi, le domicile et le lieu de résidence relèvent de la vie privée à laquelle il est porté atteinte si ces informations sont rendues publiques pour dévoiler la présence d’objets possédés par les personnes intéressées ou utilisées en vue de commettre des indiscrétions ou des actes de malveillance. Le patrimoine entre également dans le champ de la vie privée et fait l’objet d’une protection même à l’égard d’un régime de retraite créancier de cotisations (Civ. 1ère, 19 décembre 1995, affaire n° 93-18 939). Dans le domaine professionnel, lorsque des données relatives à la vie privée n’ont pas été prises en compte lors de la conclusion du contrat de travail, ce qui est le cas de loin le plus fréquent, elles ne peuvent être invoquées par l’employeur contre le salarié. Ainsi, l’association cultuelle de la Fraternité-Saint-Pie X de l’église Saint-Nicolas du Chardonnet n’était pas fondée à licencier un sacristain homosexuel dès lors que son comportement n’avait jamais été de nature à nuire à cette association (Soc. 17 avril 1991, affaire n° 90-42 636).
Il ressort de cette jurisprudence que le droit au respect de la vie privée fait l’objet d’une attention soutenue du juge. D’ailleurs, le législateur a été contraint de prévoir des dispositions dérogeant à la protection de la vie privée pour des motifs d’intérêt général. Ainsi, l’article 111 du livre des procédures fiscales autorise chaque contribuable à consulter, s’il le désire, la liste des personnes assujetties à l’impôt sur le revenu ou à l’impôt sur les sociétés. De même, les dispositions relatives à la transparence financière de la vie politique soumettent le président de la République, les parlementaires et divers autres élus à l’obligation de déclarer leur patrimoine.
La conservation dans un registre, sans autorisation de l’individu concerné dès lors qu’il en demande l’effacement complet, de la trace d’un sacrement religieux assortie d’une simple mention marginale de renonciation à celui-ci constitue-t-elle une atteinte au droit au respect de sa vie privée dont la protection s’étend à de nombreux domaines comme cela vient d’être rappelé ? La réponse semble aller de soi compte tenu de la nature de cette demande qui touche à l’intimité profonde de l’individu puisqu’elle a trait à sa conscience même. Ce que la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire a imposé aux services de l’état-civil à propos de l’identité d’un individu au regard de la modification de son apparence ne serait-il pas opposable à l’Eglise dans le domaine des convictions les plus intimes ? L’assemblée plénière de la Cour de cassation a jugé, en effet, que les registres d’état-civil devaient mentionner le sexe dont un transsexuel a l’apparence et effacer, par suite, celui qui avait été consigné à la naissance : « lorsque, à la suite d'un traitement médico-chirurgical, subi dans un but thérapeutique, une personne présentant le syndrome du transsexualisme ne possède plus tous les caractères de son sexe d'origine et a pris une apparence physique la rapprochant de l'autre sexe, auquel correspond son comportement social, le principe du respect dû à la vie privée justifie que son Etat civil indique désormais le sexe dont elle a l'apparence. »  (Cass. Ass. Plé., 11 décembre 1992, affaire n° 91-11900). Au fond, la renonciation au baptême, motivée par la volonté d’être totalement étranger à une Eglise à laquelle l’individu a appartenu, de gré ou de force, et dont le message et les agissements suscitent une réprobation sans limite de sa part, paraît semblable à la renonciation par une personne à son appartenance sexuelle d’origine à raison d’un changement profond de son identité.
De cela, la cour d’appel de Caen n’a cure. Elle se borne à développer une motivation qui ne va pas de soi. D’une part, elle estime que, le registre des baptêmes n’étant accessible qu’à très peu de personnes et n’ayant fait l’objet, en l’espèce, d’aucune divulgation de nature à porter préjudice à René Lebouvier, la vie privée de ce dernier aurait été préservée. Or, la protection d’informations relevant de la vie privée, telle la valeur du patrimoine possédé par un individu, ne saurait se satisfaire de l’affirmation selon laquelle une personne qui ne détient aucun titre légal en vue d’assurer l’intérêt général pourrait en détenir certaines au seul motif qu’elle se montrerait discrète. D’autre part, la cour soutient que le sacrement du baptême est administré publiquement. Là encore, cette affirmation ne va pas de soi. A la différence par exemple du mariage civil, qui fait l’objet d’une annonce publique par l’autorité compétente, le baptême est une cérémonie privée à laquelle il n’est fait aucune publicité officielle, bien qu’elle se déroule en un lieu où chacun peut se rendre. Par conséquent sa consignation dans un registre privé ne paraît légitime qu’autant que la personne ayant reçu ce sacrement religieux en accepte les conséquences quant à son appartenance, en l’espèce, à l’Eglise catholique.

LA DEFAUT DE CONFORMITE DU REFUS D’EFFACEMENT DE LA MENTION DU BAPTEME A LA LOI DU 6 JANVIER 1978

         La tenue du registre des baptêmes par l’Eglise catholique constitue, sans conteste, un traitement de données à caractère personnel au sens de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Il s’agit, en effet, d’un fichier au sens de l’article 2 de cette loi en ce qu’il forme un « ensemble structuré et stable de données à caractère personnel accessibles selon des critères déterminés. » D’ailleurs, le juge d’appel en convient dans les termes suivants : « Les registres de baptême, qui conservent des informations relatives à l’adhésion personnelle ou par représentation, d’une personne à une religion, relèvent en effet de la catégorie des traitements non automatisés de données à caractère personnel, soumis comme tels à la loi du 6 janvier 1978 (article 1). »
         La conservation de données à caractère personnel dans un fichier fait l’objet de mesures de protection très strictes instituées par le législateur. En premier lieu, l’article 7 de la loi du 6 janvier 1978 requiert, en vue de cette conservation, « le consentement de la personne concernée ». Il va de soi que l’acquiescement à l’entrée dans le sein de l’Eglise catholique se donne et se reprend librement, conformément au principe fondamental du droit d’association. Le droit civil, qui instaure l’entière liberté de l’individu, prime sur le droit canonique. En l’espèce, les parents de René Lebouvier ont consenti au sacrement du baptême délivré par l’Eglise catholique, en leur qualité de représentants d’un enfant mineur sur lequel son père exerçait alors l’autorité parentale. Une fois titulaire de sa pleine capacité civile par l’accès à la majorité, René Lebouvier pouvait à tout moment révoquer le choix de ses parents et demander et obtenir la radiation complète de ce registre. Pour que l’Eglise pût y faire obstacle, il aurait fallu qu’elle fût en mesure de se prévaloir de l’une des cinq dérogations énumérées à l’article 7 de la loi : le respect d’une obligation légale ; la sauvegarde de la vie de la personne concernée ; l’exécution d’une mission de service public ; l’exécution d’un contrat ; la réalisation d’un intérêt légitime. Or, elle ne le pouvait pas et ne le peut toujours pas. Elle ne paraissait pas et ne semble toujours pas même fondée à invoquer la cinquième dérogation dès lors que le législateur a pris le soin de préciser que l’intérêt légitime du responsable du fichier ne saurait « méconnaître l'intérêt ou les droits et libertés fondamentaux de la personne concernée », au rang desquels figure sans aucun doute la liberté de conscience, l’un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (Cons. Cons., 23 novembre 1977, décision n° 77-87 DC).
En second lieu, le I de l’article 8 de la loi dispose qu’ « il est interdit de collecter ou de traiter des données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l'appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci. » Là encore, le législateur a prévu des exceptions. En particulier, les organismes non lucratif et à caractère religieux échappent à cette interdiction générale. Néanmoins, il leur incombe de réunir deux conditions cumulatives. Les fichiers et traitements dérogatoires portant sur ces données doivent, d’une part, concerner les seuls « membres de cette association ou de cet organisme et, le cas échéant, les personnes qui entretiennent avec celui-ci des contacts réguliers dans le cadre de son activité », d’autre part, ne pas être « communiquées à des tiers, à moins que les personnes concernées n’y consentent expressément. »  En l’espèce, la mention marginale d’une demande de radiation d’un registre de baptême méconnaît la loi du 6 janvier 1978. Elle constitue bien une donnée à caractère personnel de nature à faire apparaître les opinions philosophiques de René Lebouvier alors qu’il ne peut être regardé comme membre de l’Eglise catholique en raison précisément de son refus d’appartenir à celle-ci. Par suite, à supposer même que cette information ne soit pas destinée à une large divulgation, les deux conditions susceptibles de justifier l’exception au principe général énoncé en faveur des groupements religieux à l’article 8 de la loi du 6 janvier 1978 ne sont pas réunies.  
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         En définitive, le tribunal de Coutances avait fait une juste appréciation des circonstances de l’espèce en accordant à René Lebouvier le droit d’obtenir l’effacement complet de son nom et des informations qui l’accompagnent du registre des baptêmes de la paroisse de Fleury. Leur maintien, même assorti d’une mention marginale de reniement de son baptême, constitue sans nul doute une atteinte au respect de la vie privée de René Lebouvier dès lors que l’intimité profonde de la conscience d’un homme est en cause. La cour d’appel de Caen en a jugé autrement.
Cependant, cette cour a également écarté sans motivation excessive les moyens sérieux tirés de la violation de la loi du 6 janvier 1978 sur l’informatique, les fichiers et les libertés. Or, ces moyens paraissent fondés. Il appartient désormais à la Cour de cassation de trancher cette délicate question qui met en cause la liberté de conscience et, par suite, l’identité d’un individu.

Novembre 2013

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A BIENTÔT ...  
  

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